Et pourtant j’ai pleuré

Je pense que l’image dit tout… et le titre aussi.

Quelques jours après avoir contacté un médecin de l’hôpital pour être fixée sur l’état de santé réel de ma mère, elle m’a informé que le cancer avait métastasé au niveau du foie. Elle allait donc subir un nouveau round de chimio, qui s’apparentait plus à une chimio de confort qu’autre chose car on connaissait l’issue. Elle m’a également copieusement engueulée car j’avais été contactée par le service d’hospitalisation à domicile et que je ne leur avais pas dit (« eu la présence d’esprit de leur dire ») que ce n’était pas faisable au vu de la configuration de sa maison (un étage avec la salle de bains en haut et l’escalier trop étroit pour installer un monteur). Elle m’a aussi dit qu’elle souffrait beaucoup et qu’elle était trop fatiguée donc que j’étais priée de ne pas répondre.

Et ce fut son dernier message. Froid, un poil méprisant, distant.

Sa première séance de chimio l’a tellement fatiguée qu’elle ne répondait plus à personne au téléphone ou par texto et les autres séances ont été annulées à cause de cette mauvaise réaction. Sa médecin m’a appelée pour me dire que c’était mauvais signe car si elle restait consciente, elle réagissait peu à ce qui l’entourait et dormait beaucoup.

Deux jours plus tard, elle me rappelait pour me dire que ma mère avait fait un AVC. Elle s’est retrouvée complètement paralysée d’un côté et avait perdu l’usage de la parole. Et là tout s’est accéléré. La médecin a bien insisté pour que je vienne car tout allait se jouer dans les jours suivants.

Le lendemain, j’ai donc pris la voiture avec mon homme pour y aller en urgence. Ma mère était peu alerte mais encore consciente, bien qu’incapable de communiquer. Elle essayait de me parler mais je ne comprenais rien. La médecin m’a donné une technique en posant des questions auxquelles on peut répondre par oui ou par non et en lui demandant de serrer ma main si la réponse est oui. Mais ma mère était extrêmement fatiguée et avait l’air très frustrée, voire énervée que je ne comprenne pas les grognements qu’elle faisait en essayant de me parler. Je lui ai montré quelques photos de mes chats et ça a eu l’air de lui faire plaisir mais je voyais aussi beaucoup de tristesse dans ses yeux.

Le lendemain, je suis revenue mais son état s’était légèrement dégradé. Elle dormait encore plus, ne réagissait presque plus et a détourné la tête lorsque j’ai voulu lui montrer des photos que ma tante lui avait envoyées. J’ai essayé de lui parler, de lui montrer que j’étais là.. mais dans ses yeux j’avais l’impression qu’elle était déjà partie. La médecin ne m’a pas caché son pessimisme, car lors d’un AVC les premiers jours sont décisifs pour savoir si les conséquences comme la paralysie sont réversibles. Or, là, elle ne montrait aucun signe de rémission.

Comme mon école ne m’avait pas accordé beaucoup de temps et que le boulot de mon homme manifestait des signes d’agacement concernant le fait qu’il soit parti en prévenant le jour même, on a fini par rentrer. J’ai embrassé ma mère sur le front, en lui disant que je l’aimais, et je suis partie.

J’ai prévenu le frère de ma mère que c’était la fin et que s’il voulait la voir en vie une dernière fois, alors il fallait venir maintenant. Comme il avait un peu de trajet, il est venu le lendemain et m’a dit que ma mère ne l’avait pas reconnu et n’avait pas réagi à quoi que ce soit, à part quand il l’avait embrassée sur le front. Le soir même, j’appelais l’hôpital et l’infirmière a fait en sorte de coller le combiné à l’oreille de ma mère, qui était dans un état comateux. Je lui ai alors dit que je lui pardonnais tout. En toute franchise, ce n’était pas vrai : j’ai toujours gardé beaucoup de rancœur envers ma mère. Mais je savais que c’était important pour elle de se sentir pardonnée.

Quelques heures après, j’ai reçu l’appel de l’hôpital pour me dire qu’elle s’était éteinte.

C’est vraiment allé vite. Son état clinique était bon, mais sa nouvelle chimio puis l’AVC l’ont emportée en quelques jours alors qu’avant elle avait encore l’énergie de faire des projets, de râler et de gueuler…

Je pensais ne rien ressentir, ou pas grand chose, tant je m’étais éloignée d’elle et tant son attitude récente me hérissait le poil (non-respect de ma volonté de ne pas recevoir ses chaînes complotistes/religieuses, prosélytisme, absence totale de prudence en filant un double des clés à plein de gens, attitude méprisante et irrespectueuse envers moi, manipulation…) mais… les larmes ont coulé toutes seules. Il y a eu comme un cri qui est sorti de mes entrailles et j’ai pleuré, pleuré, pleuré. Je ne saurais pas dire si j’ai pleuré sa mort en soi ou si j’ai pleuré toutes ces années gâchées, ce fossé qui s’est creusé entre nous, chaque année plus profond, si j’ai pleuré à cause de ces complotistes de merde qui lui ont retourné le cerveau… je ne sais pas, mais j’ai pleuré.

Une part de moi refusait de croire à cette issue. J’étais persuadée qu’en allant faire la reconnaissance du corps à l’hôpital, j’allais découvrir que c’était une erreur, que le corps n’était pas le sien. Mais pourtant si, c’était bien le sien. Ses traits étaient détendus, et sa bouche était recourbée en un léger sourire. Il était visible qu’elle n’avait pas souffert. Lorsque j’ai voulu caresser son front, j’ai été surprise par le côté glacé, comme si je m’attendais encore à trouver de la chaleur… ça m’a un peu frappée : elle est froide, c’est fini. Mais pourtant une part de moi n’y croyait pas, espérant qu’elle allait se lever et lâcher un petit rire comme si ce prank cruel était drôle. Mais elle ne s’est pas levée et les pompes funèbres sont venues la chercher.

J’ai apporté une tenue pour sa dernière demeure, je lui ai laissé plusieurs chapelets dont je ne connaissais même pas la signification mais qu’elle avait emmenés avec elle à l’hôpital, ainsi qu’un collier que j’avais fait faire pour elle chez une artisane, avec des fleurs de sa couleur préférée. J’ai beaucoup insisté auprès des pompes funèbres pour les fleurs, ma mère aimait le orange.

J’ai aussi décidé de ne pas respecter ses volontés concernant sa sépulture. Dans un souci de payer le minimum syndical, ma mère avait choisi une pleine terre et aucune plaque, aucune fleur, rien. Mais devant la masse de personnes me présentant leurs condoléances et devant mon propre besoin d’avoir un endroit où me recueillir, j’ai décidé d’upgrader son devis pour avoir au moins une plaque avec son nom et une dalle pour déposer des fleurs et éventuellement des décorations. Et j’ai bien fait, car tous les gens ne pouvant pas venir ont envoyé des fleurs, il y en avait beaucoup. Il y avait deux couronnes (dont la mienne), des pots de partout…

Je m’attendais à une dizaine de personnes au maximum à sa messe d’enterrement mais il y en avait le double, sans compter tous ceux qui n’ont pas pu venir mais qui ont envoyé leurs hommages. Des gens que je ne connaissais pas du tout, qui m’ont décrit une personne si différente de ce que j’avais connu que je me demandais s’ils ne la confondaient pas avec une autre. Plusieurs mères de famille dont ma mère a gâté les enfants tant elle regrettait que je n’en aie pas, des gens venant d’associations où elle était bénévole, des anciens clients de garde d’animaux… ils m’ont décrit une femme généreuse, investie, avec son petit caractère mais toujours présente pour aider son prochain, qui rendait volontiers service… le contraste était tellement fort avec ce que j’ai connu que ça n’a fait qu’amplifier mes regrets.

D’autres ne sont pas venus me voir et j’ai entendu une dame âgée dire que c’était quand même une honte que je n’aille pas recevoir l’eucharistie lors de la messe en hommage à ma propre mère. Cependant, lors de l’organisation de la messe, le prêtre a été bien clair : comme je ne suis pas baptisée je ne peux pas recevoir la sainte communion. C’est facile de juger hein, mamie…

La messe a été suivie par l’enterrement, il y avait un peu moins de monde à ce moment là car certains sont retournés au travail, ne pouvant se libérer que pour la messe. Comme il n’y avait rien de prévu dans le devis le croque-mort a lu un texte de Jean d’Ormesson, « le train de ma vie », qui est un grand classique des enterrements mais qui permet de dire un dernier adieu. J’ai embrassé le cercueil et il a été déposé dans sa tombe, puis la tombe a été refermée.

C’est fini mais une part de moi ne réalise toujours pas. J’ai perdu ma mère. J’ai perdu la personne qui m’a élevée. La personne qui n’a pas été une mère idéale mais qui aurait pu faire bien pire. Je ne pourrai jamais lui enlever le fait qu’elle a choisi de me garder, de m’élever, de se battre pour moi malgré mon handicap et la trahison de mon père. Elle a fait ça seule, ma famille ne l’a pas soutenue et lui a même mis des bâtons dans les roues. Ce n’est que lorsque j’ai manifesté des qualités intellectuelles et un succès scolaire que mon grand père est intervenu et a commencé à aider ma mère.

Ma mère était une lionne. Elle s’est battue et débattue comme une dingue pour mes droits, pour les siens, pour les nôtres. Seule, encore une fois, alors que sa propre famille, son sang, l’accusait de se complaire dans l’assistanat parce qu’elle ne travaillait pas. C’est vrai que c’est tellement facile pour une mère célibataire d’enfant handicapé de faire ses 35h par semaine hein…

Se battre sans arrêt, seule contre tous, l’a rendue particulièrement aigrie, névrosée, violente, et j’en ai malheureusement fait les frais. Elle était exigeante envers moi à un point inatteignable, je devais sans arrêt être excellente partout et je n’avais aucune vie à côté de mes études. J’étais toujours stressée, anxieuse, je n’avais aucune confiance en moi et spoiler… c’est toujours le cas. Ce genre d’éducation laisse des traces indélébiles.

J’ai envie de me concentrer sur le positif et de ne retenir que cela maintenant que ma mère est partie… mais après tout ce n’est pas comme ça qu’elle m’a éduquée : elle ne voyait que le négatif, en était fière, et j’ai du mal à passer outre aujourd’hui, désormais.

Elle avait des qualités, et une résilience et une force de caractère absolument extraordinaires que je ne pourrai jamais lui nier. Mais je ne peux pas non plus nier l’impact négatif qu’elle a eu sur moi. Je suis tiraillée entre amour et haine, comme quand j’étais petite. Je pense que ce sera toujours ainsi.

Je ne crois pas en l’astrologie mais ma mère était Gémeaux et avait effectivement une certaine dualité en elle : je l’ai bien vu à son enterrement, avec tous ces gens me décrivant une femme généreuse, gentille et désintéressée que je n’ai jamais connue. Elle pouvait aussi bien être un grand soutien et être affreusement toxique.

Je la voyais comme un roc indestructible, comme une femme immortelle dont l’ombre planerait toujours sur moi. Je crois que je ne réalise pas encore tout à fait que c’est terminé. Qu’elle ne reviendra plus. Qu’elle ne commentera plus les petites aventures de mes chats, qu’elle n’aura plus jamais de conseil à me donner, que je ne recevrai plus jamais ses mails à la con, que je ne l’entendrai plus me débiter ses âneries à toute vitesse… je ne réalise pas qu’elle a quitté cette terre et que je ne la reverrai plus.

Je l’aimais. Et je la détestais aussi. Je suis triste mais je suis aussi soulagée. Je ne sais pas. Il va falloir continuer, de toute façon.

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